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Chine : Ruée sur l’innovation

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Les entreprises privées chinoises adoptent l’innovation au détriment du transfert de technologies. C’est le deuxième grand bond en avant technologique voulu par l’État. “La Chine doit s’appuyer sur l’innovation pour assurer un développement économique sain et continu.” Pour qui vit loin de la Chine, cette sentence prononcée par le président Xi Jinping lui-même en décembre 2014 semble une évidence.

La Chine pratique depuis longtemps une politique industrielle d’“innovation autochtone”, qui oblige les multinationales étrangères à transférer leurs technologies et à soutenir les entreprises d’État chinoises dans des secteurs stratégiques.

Mais cette stratégie n’a pas fonctionné. Alors, le pays déverse maintenant de l’argent dans un nouvel assaut “top down”, du haut vers le bas, pour l’innovation. Il dépense plus de 200 milliards de dollars par an en R&D, une somme qui a quadruplé en une décennie. Elle représente maintenant 2 % du PIB, légèrement plus que l’Union européenne.

Le cabinet d’études de Thomson Reuters assure que la Chine est “sans conteste le leader en matière de brevets”. Les planificateurs centraux souhaitent maintenant tripler le nombre de brevets d’ici à 2020, à 14 pour 10.000 personnes. Ils veulent augmenter encore les budgets R&D pour à terme atteindre le niveau américain de 2,8 % du PIB, avec l’espoir que toutes ces mesures feront de la Chine une superpuissance de l’innovation. Déjà, un cinquième des diplômés des filières scientifiques dans le monde sont chinois.
Le gouvernement pourrait aussi encourager l’innovation autrement, par exemple en fixant un cadre juridique solide et des marchés financiers qui fonctionnent. Mais jusqu’ici, il n’y est pas parvenu. Au lieu de cela, il sur-réagit, de façon peu efficace. C’est en partie parce qu’il confond innovation avec invention, laquelle nécessite de gros investissements dans la recherche, les brevets et les chercheurs.

L’innovation peut, ou non, nécessiter les mêmes investissements, mais elle est essentielle à la santé d’une économie. En d’autres termes, il s’agit d’une approche nouvelle, qui crée de la valeur sur un marché. Elle ne nécessite pas forcément des nouvelles technologies, mais parfois simplement l’adaptation de produits et de business models d’un secteur ou d’un marché à un autre.

Les investissements en recherche, les subventions pour la haute technologie et les thèses sont des apports. Mais dépenser plus n’offre pas la garantie de meilleurs résultats, que ce soit en termes de brevets de haute qualité ou d’augmentation des ventes. Les budgets d’État chinois pour la R&D vont plus souvent à ceux qui sont bien introduits politiquement qu’à ceux qui le méritent.

Le nombre de brevets déposés a explosé depuis la mise en place du programme incitatif du gouvernement, mais beaucoup de ces brevets n’ont aucun intérêt. Après un ajustement vers plus de qualité, et selon une série de critères, la Chine est toujours à la traîne.

Gordon Orr, ancien dirigeant de McKinsey Asie, estime que les patrons des entreprises d’État chinoises trouvent plus simple de courtiser les régulateurs afin que ceux-ci soutiennent les produits existants, plutôt que d’en inventer de nouveaux. En Chine, on attend habituellement des nouvelles activités qu’elles fassent de l’argent dans leur première année d’existence, ce qui inhibe la prise de risques.

Guan Jiancheng, de l’Académie chinoise des sciences, et Richard Yam, de la City University de Hong Kong, ont mené une enquête auprès de plus de 2000 entreprises de production et de technologie à Pékin, pour comprendre si l’aide de l’État chinois dans les années 1990 avait abouti à plus de brevets ou permis une hausse des ventes et des bénéfices. Ils ont découvert que l’argent de l’État canalisé vers les entreprises d’État n’était pas seulement inefficace mais “avait même à l’occasion un impact négatif sur l’innovation”.

Le nombre de brevets déposés a explosé depuis la mise en place du programme incitatif du gouvernement, mais beaucoup de ces brevets n’ont aucun intérêt

La Banque mondiale a évalué différentes études et conclu que les efforts d’innovation dans les entreprises d’État chinoises “ont tendance à être improductifs et mal intégrés aux autres activités”. L’une des raisons en est que les grandes firmes d’État sont moins efficaces que les entreprises privées plus petites dans la conversion des ressources en innovation et brevets. La productivité totale des facteurs a progressé trois fois plus vite dans les entreprises privées que dans les entreprises d’État.

Si la Chine devient plus innovante, le secteur privé peut en revendiquer la plus grande part du mérite. Un rapport récent du McKinsey Global Institute montre que les firmes chinoises sont bonnes en innovation dans bon nombre de secteurs. Les auteurs évitent le piège qui consiste à se contenter de comptabiliser les brevets et les thèses, et se basent sur “la capacité des entreprises à augmenter leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices” comme preuve d’innovation réussie.

Après avoir étudié les données de 20.000 entreprises en Chine et à l’étranger, ils en ont conclu que les entreprises chinoises brillent dans les marchés en contact avec les consommateurs comme le e-commerce, et dans celles où l’efficacité prime, comme la production, mais qu’elles sont en retard dans les marchés dépendants des dernières avancées scientifiques et technologiques.

Il y a des exceptions notoires. Huawei, par exemple, a émergé comme une marque télécom de niveau mondial. Huawei dépense 5 milliards de dollars par an en R&D et possède des centres de recherche proches des hotspots de technologie. C’est l’un des plus gros détenteurs de brevets de haute qualité au monde. Avec le Suédois Ericsson, il est maintenant à l’avant-garde de la recherche sur la 5G.

BGI, un centre de recherche privé, est l’un des instituts de génomique les plus respectés au monde. Il est né en 1999 lorsqu’une poignée de chercheurs a quitté l’Académie chinoise des sciences pour fonder un nouvel institut de génomique. Ils ont atterri à Shenzhen, où les autorités locales, chose inhabituelle en Chine, soutiennent les entreprises sans tenter de les contrôler.

Des centaines de scientifiques pointus sont employées par BGI, qui possède la moitié des capacités de séquençage de génome du monde. Il a été salué pour avoir séquencé le virus Sras et décodé des génomes d’oiseaux et de microbes amicaux qui vivent dans l’intestin humain. Il conseille la plupart des grands laboratoires pharmaceutiques en matière de recherche et développement de nouveaux médicaments.

Pensez seulement à ce qu’ils pourraient faire d’autre…

Les chimistes organiques chinois sont parmi les meilleurs au monde, et le super-calculateur chinois Tianhe-2 est le plus rapide de la planète. L’Institut national de sciences biologiques de Chine a découvert l’insaisissable récepteur du virus de l’hépatite B. Venus Medtech, qui fabrique des valves aortiques pour le cœur, et Nurotron, qui produit des implants cochléaires, sont des start-up très en pointe.

Chipscreen Biosciences a remporté l’autorisation chinoise de commercialisation pour une thérapie révolutionnaire contre le cancer. Lu Xianping, son cofondateur, pense qu’il s’agira du premier médicament entièrement élaboré en Chine à être commercialisé dans le monde entier.

Selon Peter Williamson, de la Judge Business School à Cambridge, les laboratoires chinois savent adapter rapidement de nouvelles idées et technologies. Par exemple, WuXi AppTec a transposé des techniques utilisées dans la production de masse à la recherche pharmaceutique, en la morcelant en de nombreuses étapes et en affectant à chacune un grand nombre de chercheurs.

BeiGene utilise un modèle de test de médicaments basé sur une vaste banque d’échantillons de cancers humains, et non sur des humains ; la rapidité et la fiabilité conséquentes ont permis d’effectuer en deux ans les tests nécessaires, jusqu’aux tests cliniques pour quatre médicaments contre le cancer.

Les chimistes organiques chinois sont parmi les meilleurs au monde, et le super-calculateur chinois Tianhe-2 est le plus rapide de la planète.

Je recherche la passion brute chez mes ingénieurs” annonce Saad Metz, le suave ancien pilote de motocross qui dirige la R&D de Audi Chine. La société a construit un superbe centre de recherche dans un quartier d’artistes de Pékin. À l’intérieur, on se croirait dans un loft. Il donne sur un jardin urbain suspendu qui rappelle le High Line park de Manhattan. “Nous voulons que nos chercheurs soient plus innovants, et ils sont inspirés dans ce quartier” explique M. Metz.

Les gros investissements engagés dans la recherche par les sociétés comme Audi en Chine continentale sont peut-être le signe le plus parlant que le pays est en train de devenir un centre mondial d’innovation. Par le passé, les entreprises étrangères répugnaient à y apporter leurs richesses en raison de l’attitude locale très “détendue” sur les questions de protection de la propriété intellectuelle.

Les gros investissements engagés dans la recherche par les sociétés comme Audi en Chine continentale sont peut-être le signe le plus parlant que le pays est en train de devenir un centre mondial d’innovation

Beaucoup de groupes ont construit d’élégants centres de recherche à Pékin ou Shanghai pour en réalité n’y effectuer que peu de recherches. La situation est en train de changer. La protection de la propriété intellectuelle progresse, et comme le dit M. Metz, la conjonction de talents scientifiques présents sur place et de la taille du marché justifie désormais une solide présence de la R&D en Chine.

Usine à idées

George Yip, de la China Europe International Business School (CEIBS), mentionne le développement de la technologie des ultrasons en Chine par GE, qui s’est répandue dans le monde entier. Chen Xiangli, dirigeant du Centre de technologie de GE à Shanghai, énumère de nombreux exemples de recherche de niveau mondial effectués chez lui.

Une équipe a inventé des systèmes de membranes qui permettent aux industries polluantes, telles que l’industrie du charbon, de s’aligner sur les normes de zéro rejets liquides. Une autre équipe est pionnière dans les aimants super-conducteurs, qui permettent de réduire de façon importante l’utilisation d’hélium liquide.

M. Yip et ses confrères ont récemment publié une étude sur les recherches conduites par les entreprises en Chine dans ‘Strategy+business’, un magazine publié par le cabinet PwC. Ils estiment que 28 % de ces entreprises travaillent maintenant sur de la R&D de pointe.

Outre GE, des groupes qui vont de Microsoft à ABB emploient de grands chercheurs en Chine qui travaillent sur des projets destinés au marché mondial. Novartis a engagé 1 milliard de dollars dans son centre de R&D en Chine, et il a déjà trouvé un nouveau traitement qui promet de s’attaquer à la cirrhose du foie.

Si la Chine est si innovante, objectent les sceptiques, pourquoi n’a-t-elle pas encore produit une voiture pour le marché international ? Un secteur automobile prospère nécessite des décennies d’expérience en ingénierie et de complexes réseaux internationaux de fournisseurs. Pendant 20 ans, les constructeurs étrangers de voitures qui se sont implantés en Chine ont été contraints de créer des joint-ventures avec les entreprises chinoises d’État, parce que celles-ci voulaient avoir un accès à la technologie étrangère.

Mais quand elles ont tenté de fabriquer des voitures sous leurs propres marques, elles n’ont sorti que des casseroles. La Chine a besoin de temps pour rattraper son retard, comme le Japon et la Corée du Sud en leur temps, argumente Neil Shen de Sequoia Capital.

Peut-être… mais il pourrait y avoir une autre explication

L’un des hommes d’affaires étrangers en Chine parmi les plus expérimentés avance que les entreprises chinoises d’État “ont les plus brillants cerveaux en science et technologie, mais n’arrivent pas à sortir un produit sous leur marque que les clients ailleurs qu’en Chine ont envie d’acheter”. Il y a trop de contrôle d’en haut, dit-il, et pas assez de foi dans les marchés et la concurrence.

Au Japon et en Corée du Sud, ce sont les groupes privés comme Honda et Hyundai qui ont construit des voitures. En se lançant dans la concurrence mondiale, ils ont appris à innover. En Chine, l’État a désigné par décret et protégé des champions nationaux. Shanghai Automotive a des joint-ventures avec Volkswagen et General Motors. L’argent facile et l’accès à des modèles conçus pour le marché mondial ne suscitent aucun élan d’innovation, regrette un manager du groupe.

Mais certains constructeurs automobiles privés commencent à s’améliorer. Voici quelques années, à Shenzhen, chez BYD, fabricant de voitures électriques, les ingénieurs se vantaient de fabriquer toutes les pièces eux-mêmes, à l’exception du verre et des pneus. Ça se voyait. Les véhicules étaient affreux. Mais récemment, grâce aux conseils de Mercedes-Benz et à des pièces de fournisseurs externes, la qualité, la sécurité et le style se sont énormément améliorés.

L’un des hommes d’affaires étrangers en Chine parmi les plus expérimentés avance que les entreprises chinoises d’État “ont les plus brillants cerveaux en science et technologie, mais n’arrivent pas à sortir un produit sous leur marque que les clients ailleurs qu’en Chine ont envie d’acheter.”

Les groupes chinois pourraient même faire un bond jusqu’aux technologies actuelles et produire les véhicules électriques connectés du futur. Les fabricants automobiles, mais aussi les géants chinois de l’Internet et les industriels comme Foxconn, investissent d’énormes budgets dans cette perspective. Day Chia-Peng, un expert en technologie chez Foxconn, détaille quatre raisons qui expliquent pourquoi les entreprises chinoises pourraient dominer le monde.

D’abord, l’expertise dans la fabrication de moteurs électriques et d’électronique: le pays a des fournisseurs de première qualité. Deuxièmement, les véhicules électriques se prêtent à la production par de nombreux fabricants plus petits. Les géants actuels de l’automobile pourraient perdre du terrain.

Troisièmement, le e-commerce, autre domaine où la Chine excelle, change la façon dont les consommateurs achètent des voitures. Et quatrièmement, l’implication du trio BAT chinois (Baidu, Alibaba et Tencent) et de Xiaomi pourrait faire la différence pour inventer ces voitures.

Dans la colonne des moins, l’absence de liberté universitaire est un frein important à l’innovation chinoise. Les universités chinoises, tout comme les entreprises d’État, sont dirigées par des comités du Parti communiste. La politique bride le flux des idées. Un peu comme la “Grande muraille” édifiée autour d’Internet, qui bloque l’accès des internautes à des sites internationaux et à des outils collaboratifs populaires comme Google Docs.

Les entreprises chinoises ont fait beaucoup de chemin. Ce qui freine les innovateurs du pays aujourd’hui n’est pas le manque de moyens. Ce n’est certainement pas le manque d’ingéniosité. Le plus grand obstacle, c’est la main oppressante de l’État.

Le Nouvel Économiste


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